Adeline Beaudoin, employée de bureau au Conseil central du Montréal métropolitain–CSN, n’a jamais aimé le jardinage. Les fleurs, les potagers, très peu pour elle. Jusqu’au jour où elle a entendu un certain Wen Rolland parler d’aménagements comestibles.
« Il travaillait avec des cégeps et des municipalités pour planter des arbustes fruitiers sur les terrains publics, au bénéfice du quartier. J’étais fascinée. » De fil en aiguille, ou plutôt de semence en semence, elle découvre la forêt nourricière. Un concept qui repose sur la diversité végétale, les plantes vivaces, l’autonomie alimentaire et la régénération des sols. Et comme souvent avec Adeline, quand elle découvre quelque chose, elle ne fait pas les choses à moitié.
« Je suis devenue obsédée. Je passais mes soirées à faire de la recherche : qu’est-ce que je peux planter ici ? Qu’est-ce qui poussait avant au Québec et que l’on a complètement oublié avec l’industrialisation ? »
Elle tombe sur des variétés anciennes ou méconnues : le myrique baumier, la fameuse muscade boréale dont les feuilles rappellent aussi le goût des feuilles de laurier, le pawpaw, un fruit indigène… même le mélilot, une fleur surnommée la “vanille du Québec”. Des arômes oubliés, des plantes médicinales, des petits fruits, des arbres à noix… Aujourd’hui, c’est une véritable collection vivante qui s’épanouit chez elle, avec plus d’une cinquantaine de végétaux comestibles.
Mais le plus beau, c’est ce que ça fait pousser autour.
« Mon voisin, qui est chef cuisinier, vient chercher chaque année des baies de sureau avec lesquelles il fait un sirop. En échange, il m’en donne une bouteille. Une autre voisine m’a offert une variété de haricots plats qui vient d’Asie en échange de fraisiers. C’est devenu un petit réseau de troc et de partage. Même au bureau, j’ai donné quelques plants de camomille et de mélisse. »
Ce n’est plus juste un projet personnel, c’est devenu un petit mouvement. Une manière douce de résister, de créer des liens et de rêver à une autre manière de vivre en ville.
« C’est ma façon à moi de contribuer à la sécurité alimentaire. De faire quelque chose contre les changements climatiques, même à petite échelle. Et de transmettre ce goût-là à ma fille. » Ensemble, elles plantent, arrosent, regardent pousser. C’est devenu leur rituel du printemps.
Zen, comestible et radicale sans en avoir l’air, la forêt d’Adeline pousse. Et on parie qu’elle n’a pas fini de prendre de l’ampleur.